>>> Contes paradoxaux

La Femme du Futur

Pascal Galodé éditeur, 2012.

Mais qu’est-ce que vous écrivez ? me demande-t-on souvent. Par crainte d’un malentendu, je n’ose pas répondre : J’écris de l’extraordinaire... Pensant que l’on prendrait ce qualificatif pour une sorte de prétention.
Pourtant je passe mes heures à broder des tissus qui échappent à l’ordinaire, au normal. Des univers merveilleux qui possèdent d’autres lois, d’autres organisations, d’autres logiques, d’autres valeurs, d’autres sens que ceux que nous admettons, en nos vagues certitudes, être notre réalité.
Ce recueil est un florilège ou une anthologie d’une vision paradoxale de la vie, la décrivant d’un point de vue différent du nôtre, posant comme principe et conclusion la relativité des idées et des façons de respirer.

Ce recueil se compose d’un inédit, La Femme du Futur, qui lui donne son titre, et de trois rééditions de courts livres aujourd’hui indisponibles : Jour de Chance, paru en 1982 aux Presses de la Renaissance ; Une journée d’Hélène Larrivière - donné ici sous le titre Nos Amis les Microbes - en 1989, toujours aux Presses de la Renaissance ; et enfin Ventre bleu, paru chez André Balland, en 1978.

La nouveauté, La Femme du Futur, illustre une synthèse de cet extraordinaire. L’héroïne, Anna Wooh, choisit ses parents. Elle découvre son monde, dans un registre merveilleux de Science-Fiction, au vingt-deuxième siècle. Personne n’y travaille et on gagne beaucoup d’argent. On y a dissocié les notions de labeur et de rémunération, tournant le dos aux fondements de nos civilisations actuelles. Tout le monde y est riche, les banques donnent des billets sans compter et les opérations boursières se font toutes seules au bénéfice de chacun. Tout le monde s’aime, dans la béatitude, sans inconscient ou sous-entendu, sinon avec une certaine indifférence. On peut y jouer avec le temps, quelques régions de ce vingt-deuxième siècle s’amusant à vivre « comme autrefois », au Moyen-Age ou au dix-septième siècle. C’est le paradis. On peut même jouer sur le temps, en raccourcissant sa vie pour ignorer des actes que l’on a commis : c’est ce que fera notre héroïne qui détruira ce paradis. Et qui, bouleversant encore plus nos fondements éthiques, sera pardonnée pour un génocide.

Les trois autres contes, ici révisés et quelquefois resserrés, préfigurent ces transgressions, ces paradoxes.
Dans Jour de Chance, le héros commet des meurtres que les polices, les juges, les administrations, les psychiatres, les gardiens de l’ordre ne peuvent pas condamner, punir ; et même une avocate, qu’il engage pour prouver sa culpabilité, n’arrive pas à le faire accuser ; et quand il meurt, il ne parvient pas à se faire enterrer. C’est l’insolite total.
Dans Nos Amis les Microbes, Hélène Larrivière, en un renversement du regard ordinaire, est décrite du point de vue de ses microbes, agents de ses maladies, un peuple sympathique, joyeux, rigolo, qui suit ses propres déterminations, ses propres nécessités, et pour qui les cancers ne sont que des enrichissements. Quand notre Hélène guérira, le lecteur, dans ces chemins des paradoxes, ne pourra que déplorer l’anéantissement, certes provisoire, de cette héroïque et fantaisiste civilisation intérieure.
Dans Ventre bleu, le héros se trouve si bien, si heureux, si materné, dans une clinique, qu’il refuse de guérir, s’invente des maladies, pour y rester, y mourir ; mais il vit sa mort jusqu’à la conscience de son pourrissement : c’est un texte violent, « hard », « gore », à la limite du supportable.

Ainsi, de l’insolite au « gore », en passant par l’ « heroic fantasy », quelques registres du fantastique moderne se déclinent.
Et c’est aux antipodes du littérairement correct actuel.
Mais ces fables, ces pieds de nez ou ces nouvelles métaphysiques, s’accordent avec l’esprit de la BD, de toute une littérature de l’imaginaire, et avec un rythme de dessin animé : bref, ces rares choses, ou ces choses rares, que lisent les jeunes d’aujourd’hui, du Seigneur des Anneaux à Harry Potter, ignorant une prose redondante du vécu, du document d’actualité, soi-disant « vrais »... Quand on sait maintenant que notre monde n’est que représentation, fiction, apothéose du « faux » dans les discours, les images et les médias : notre quotidien nous le prouve, de plus en plus.

Et, justement, une introduction, Eloge de l’Insolite, de l’Imprévisible & de l’Insécurité, relie ces contes à nos crises contemporaines : s’y analyse, en un dialogue détonnant entre Dr Jekyll et M. Hyde, combien nous avons changé, renversant de plus en plus souvent nos valeurs ; comment ce qui était révolutionnaire est devenu réactionnaire ; comment on s’oriente vers des contradictions magnifiquement insolubles, tel un islam laïc ou un marxisme capitaliste ; comment le cosmos devient de plus en plus inimaginable ; et comment le réel et la vérité n’existent en définitive plus, masqués par nos fictions - en somme, combien ces écrits peuvent être terriblement prémonitoires.

*

Les trois contes réédités eurent des critiques nombreuses et élogieuses, que j’ose, avec prudence sur les jugements du futur, livrer ici, tout en soulignant qu’aux termes « récit » ou « roman », employés à l’époque, je préfère celui de « conte », utilisé dans ce recueil, et qui définit mieux l’aspect fabuleux, sinon exemplaire, de ces textes :

Sur Jour de Chance,
Viviane Forrester écrivit dans Le Matin de Paris : « Nous sommes dans l’un des univers enchantés, mais si concrets, si modernes, de François Coupry ; dans ses logiques incongrues mais irréfutables ; dans un récit qui file telle une chanson et, comme elle, casse la baraque, mine de rien. (...) Nabucco voudrait avoir du poids, sentir peser sur lui le fardeau de l’existence. Sans malheur, sans menace, peut-on se dire vivant ? Et sans être coupable ? (...) L’humour agile de François Coupry, ses naïvetés décapantes, parviennent à percuter la mort, oser l’amour, à dénuder vive la plaie de l’innocence, à souligner les exactitudes de l’absurdité. »
Et André Rolin, dans Le Canard enchaîné : « Ce récit court (c’est une qualité) est une boite à malices : Coupry, sur ses patins à roulettes, y glisse à toute allure, le sourire aux lèvres. L’écriture en fête. Attention, il faut se méfier des livres (apparemment) anodins : ils sont beaucoup plus ravageurs que les pavés à message ! Avec Jour de Chance, Coupry a réussi un petit chef... J’arrête, car il écrit : «Les fleurs c’est signe de mort. Je hais les fleurs». Dont acte. »

Sur Nos Amis les Microbes (Une journée d’Hélène Larrivière),
Anne Bragance, dans Le Monde : « Ici, le roman flirte avec la bande dessinée, lui emprunte ses raccourcis, ses facéties de langage, ses modes d’expression. (....) Ce turbulent peuple qui mène grand tapage dans les organes et le sang de la belle rousse, grignotant un os par ci, un muscle par là, manie le langage à la diable, insoucieux de l’adéquation du mot à la chose désignée. Faut-il dire «avec parcimonie» ou «avec patrimoine», doit-on parler des «sources» ou des «soutes» de la vérité ? Qu’importe, puisque François Coupry, inventif, malicieux, pose, mine de rien, les questions essentielles. »
Jean David, dans VSD : « François Coupry nous balance tout un petit peuple singulier. Et, ma foi, on est heureux d’y croire. Patrace, Sloarm, le Malraux de la bande, la jolie Mimolette et tous les autres constituent une nation «agile et coquine», installée où ? Dans un corps humain ! (...) Dans la continuité d’un Lewis Carroll et de quelques autres, la transfiguration poétique, et qui vient à son heure, de nos éternelles inquiétudes. (...) Quel intégrisme du désespoir résisterait à cette prise de distance amusée ? Ce n’est pas le moindre mérite de ce roman facétieux, cousu du fil blanc de la sagesse. »
Pierre-Robert Leclecq, dans Le Magazine Littéraire : « Avec des résonances de conte philosophique où Le Livre a une place privilégiée, avec un humour tout en nuance - il faut suivre ce soldat vaincu par de particulières Amazones «longeant le Fémur aux anciens parapets» ! - ce roman tient à la fois de l’aventure picrocholine et du merveilleux de Carroll, sans se lasser d’être, ô combien, original et, comme tout ce qui est intemporel, d’actualité. C’est là une parfaite démonstration de l’art du romancier, et du pouvoir de l’imagination qui, en créant des «choses qui ne sont ni n’ont été», comme dit Italo Calvino, nous ouvre les yeux sur ce qui est. »
Jacques Nerson, dans Le Figaro-Magazine : « Roman baroque, astucieux, inventif, débordant d’humour mais un peu effrayant, aussi. Si Hélène Larrivière ne se sent pas très bien, François Coupry, lui, est en pleine forme ! »
Joël Schmidt, dans Réforme : « Face à Cyrano de Bergerac, Gulliver et Wells, voici François Coupry qui ose l’ininventable et nous réjouit par l’explosion maîtrisée de ses trouvailles sans comparaison, sans modèle. »

Sur Ventre bleu,
Jean-Marc Roberts, dans Le Matin de Paris : « Au premier abord, son livre paraît drôle. Il est merveilleusement sinistre. Parce qu’il joue de tout et sur tout, François Coupry a donné à sa fable, heureusement sans morale, une saveur sans égale. Conte d’Edgar Poe ravissant et cocasse pour tomber malade en tapant des mains. »
Jérôme Garcin, dans Les Nouvelles Littéraires : « C’est une forte allégorie, ce Ventre bleu : l’homme, paradoxalement y convoque de plein gré un destin qui lui est d’habitude imposé. Le livre de Coupry respire d’un rire nietzchéen, saccadé, rejoignant le non-sens parfait, le suprême néant. L’alliance, qu’aime l’auteur, des affirmations et des négations adjacentes, en dit long sur la méthode. »
Paul Morelle, dans Le Monde : « Ordinairement, la maladie suscite des plaintes, des refus. François Coupry ne la rejette pas. Il l’assume. Il la chante. A sa manière. Faite d’élans, de retraits, de bondissements, d’esquives. Elégante et sûre. »
Octave Manonni, dans La Quinzaine Littéraire : « Une partie du plaisir qu’on goûte à la lecture de ce petit chef-d’oeuvre tient sans aucun doute au style, qui nous conduit de surprise en surprise. »

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Si, par inadvertance, je devais chavirer sur quelque océan, afin de gagner la fameuse île déserte je prendrais comme bouées Les Souterrains de l’Histoire (Le Rocher, 2008), ma saga qui recrée ma Camargue ancestrale, et cette Femme du Futur et autres contes paradoxaux, qui deviendraient peut-être aussi des messages dans une bouteille à la mer.

F. C.
2012


 

 

 

 

 

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© François Coupry, 2012